Les femmes dans la société viking

Femmes de la société viking assises sur un lit, illustrant les rôles sociaux et les traditions.

Les femmes dans la société

Les découvertes archéologiques, les lois et la littérature du Moyen-Âge ainsi que les inscriptions runiques et diverses représentations (amulettes, tapisseries...) sont les principales sources à disposition pour esquisser le rôle et le statut des femmes dans la société de l'Âge Viking.

Dans la société de l'Âge Viking, les rôles étaient clairement définis selon le sexe.

La femme viking commençait probablement dès l'enfance par apprendre à accomplir les arts ménagers et les pratiques agricoles, à suivre les préceptes de sa famille, connaître les lois de la morale en vigueur et servir l'intérêt du clan. En ce sens, Régis Boyer relève que la femme était l'âme d'une société dont son mari n'était que le bras. Car c'était elle la gardienne des traditions familiales qu'elle inculquait à son tour aux enfants.

Aucune trace de jeunes femmes au coeur tendre, ni d'histoires façon "Roméo et Juliette" dans les sources littéraires. Le mariage était une de ces institutions destinées à préserver et accroître la prospérité de la famille et le choix d'un époux restait la prérogative des parents ou tuteurs. La jeune fille devenue femme, fière et énergique matrone, protègeait l'honneur de son clan avec dureté et n'hésitait pas, pour ce faire, à inciter les hommes de sa maison à exercer leur droit de vengeance en cas d'outrage. Peut-être était-ce dû à un rôle plus passif de la femme, qui l'empêchait d'agir elle-même.

Un trousseau de clés accroché au mur symbolise le rôle des femmes vikings dans la société.Avec les hommes qui partaient en expéditions guerrières ou commerciales, la gestion quotidienne de la maisonnée ou de la ferme devenait l’apanage de l'épouse du propriétaire, la húsfreyja ( i.e 'maîtresse de maison'), qui gagnait ainsi en autorité comme en indépendance et jouissait en retour pour cela d'un profond respect. En effet, l'épouse nordique participait de la sorte à la position et à la fortune de son mari. "Les sagas de contemporains, par exemple, prouvent qu'elle n'était jamais tenue pour un objet de plaisir, qu'on la respectait et que ses avis étaient toujours écoutés", indique Régis Boyer.

Les clés avec lesquelles plusieurs d'entre elles ont été enterrées symbolisent leur influence sur le foyer et leurs responsabilités domestiques, en particulier dans la distribution de la nourriture.

Toutefois, les femmes n'avaient bien évidemment pas le même statut, ni les mêmes prérogatives, selon la classe sociale à laquelle elles appartenaient.

 

La femme esclave

La femme esclave est appelée ambátt (ambáttir au pluriel)

Bien qu'on ne sache presque rien de la vie des servantes et des esclaves, il est aisé de concevoir qu'elles étaient généralement vouées au travail non qualifié, mais aussi aux tâches les plus lourdes et les plus ingrates.

Les femmes esclaves moulaient le blé et le sel, un travail éreintant nécessitant l'usage d'un moulin à bras manuel, procédaient à la traite, au barattage et à la lessive. Au sein d'une exploitation agricole, elles pouvaient aussi prendre part à des activités telles que le pâturage de printemps pour le bétail, le labour, la plantation, la récolte, l'abattage et le filage.

Les femmes esclaves s'occupaient aussi souvent des enfants. Egil Skallagrimsson possédait une esclave qui avait été sa fóstra (i.e 'nourrice') étant enfant. 

Elles pouvaient être les domestiques personnelles des maîtres des lieux, et rendre certains services occasionnels en tant qu'esclaves de lit. D'après les découvertes archéologiques et les récits, certaines d'entre elles ont été sacrifiées pour accompagner leur maître jusque dans la mort.

 

La femme de la classe moyenne

La vie de la grande majorité des femmes se limitait au foyer sur lequel, cependant, elles régnaient de plein droit, avec une autorité absolue.

Les femmes devaient se marier, faire des enfants, les élever, prendre soin des personnes plus âgées et s’occuper de la maisonnée, c'est-à-dire de la plupart des tâches ménagères (la cuisine, le nettoyage, la confection des tissus et des vêtements) et, dans les fermes, de certaines tâches agricoles (en particulier la traite, la fenaison et les soins aux animaux).

Les moeurs funéraires et les nombreux outils pour carder la laine, peigner le lin, filer, tisser et coudre, découverts dans les tombes des femmes démontrent l'importance de leur rôle dans la confection des vêtements de toute la maisonnée, qui comprenait toutes les étapes de la fabrication: semer et récolter le lin pour la toile de lin ainsi que l’ortie et le chanvre pour les autres types de tissu; élever les moutons, les agneaux et les chèvres pour obtenir la laine qui servait à faire le vaðmál. Les fibres devaient être cardées, filées, tissées, et le textile ainsi obtenu coupé et cousu pour en faire des vêtements. 

Outre l'agriculture et la confection des textiles et vêtements, les femmes pouvaient gagner leur vie dans le commerce, que ce soit en famille ou seules responsables. Des balances de marchands et les poids trouvés dans des sépultures de femmes en Scandinavie suggèrent un lien étroit entre les femmes et le commerce. Le compte-rendu d'une mission chrétienne au IXème siècle, à Birka en Suède, un des grands comptoirs commerciaux vikings, rapporte la conversion d'une riche veuve, Frideburg, avec sa fille Catla, qui voyagea pour son commerce jusqu'au port frison de Dorestad.

 

La femme de la noblesse

Les femmes dont parlent les sagas ou dont il est question en Archéologie avec les découvertes de sépultures souvent riches d'offrandes funéraires, étaient majoritairement issues de l’aristocratie, à la tête de grandes maisonnées ou d'exploitations agricoles.

Elles détenaient les clés du garde-manger et des entrepôts, contrôlaient les provisions et avaient sous leur responsabilité un personnel important composés de serviteurs et esclaves. Il est fort probable qu'en supervisant de grands travaux, elles aient pu gouverner par l'exemple et mettre la main à la pâte.

La domesticité qu'elles avaient à leur service leur assurait sans doute plus de temps pour s'occuper d'elle-même et des moments de loisirs, chose rare et exceptionnelle dans la vie des femmes à l'époque des Vikings.

 

La physionomie et le caractère des femmes

Un homme avec une cagoule jaune et une chemise bleue dans un contexte de femmes vikings.Les femmes à l'Âge Viking avaient des traits masculins. Les visages des femmes et des hommes étaient plus semblables à l'époque qu'ils ne le sont aujourd'hui, selon Lise Lock Harvig, archéo-anthropologue du Département de Médecine légale de l'Université de Copenhague: "Il est plus difficile, visuellement, de déterminer le sexe d'un squelette de l'Âge Viking". Elle explique en effet que les femmes vikings avaient souvent des mâchoires et des arcades sourcilières prononcées, alors que les ossements des hommes présentent des caractéristiques moins marquées pour leur sexe que de nos jours, semant donc la confusion parmi les archéologues en charge de déterminer le sexe des squelettes de l'époque.

La taille moyenne des femmes, toujours d'après les travaux de Lise Lock Harvig, était de 1,58m. Elles étaient aussi globalement plus musclées que les femmes d'aujourd'hui, notamment parce qu'elles effectuaient des tâches très physiques. L'arthrose et les problèmes dentaires faisaient partie des maux les plus courants. Mais les chercheurs de l’Université de Tubingen qui ont analysé des squelettes afin de comparer l’état de santé des hommes et des femmes scandinaves, ont constaté qu'il n'y avait pas de différence significative entre l’émail des dents chez les deux sexes, ce qui peut signifier que les femmes avaient accès à autant de ressources et de nourriture que les hommes, ce qui n’était pas le cas dans toutes les sociétés occidentales de l’époque.

Dans les sagas, les personnages féminins sont loués pour leur beauté, mais plus fréquemment encore pour leur sagesse. En règle générale, les femmes font toujours preuve d'un fort tempérament. Bon nombre des traits de caractère considérés comme positifs chez les hommes, tels que le sens de l'honneur, le courage et la volonté sont également considérés comme des traits positifs chez les femmes. À contrario, les vieilles mères adoptives, les servantes et les commères figurent parmi les personnages féminins les plus faibles dans ces mêmes sources littéraires.

 

Les femmes devant la loi

Les femmes n’avaient pas le même statut légal que les hommes et certains indices donnent à penser qu'elles n’avaient pas autant de valeur que les hommes dans la hiérarchie sociale. Mais les femmes jouissaient à l'Âge Viking de certains droits et dispositions légales parfaitement enviables pour l'époque. 

Les filles étaient presque exclusivement les seules victimes des infanticides, avec la coutume de l'exposition des nouveaux-nés. Les fils avaient plus de valeur, car ils pouvaient accroître les propriétés terriennes, la richesse et rapporter des honneurs, alors qu'il fallait marier les filles et leur constituer des dots. De plus, le fait d’avoir moins de femmes se traduisait par une réduction du nombre de naissances et donc moins de bouches à nourrir. Cette coutume s’est poursuivie même après l’arrivée du christianisme.

 

Les interdits

Légalement, une femme était placée sous l'autorité de son mari ou de son père. Le recueil de lois islandaises, appelées Grágás et en vigueur jusqu'au XIIIème siècle, précise qu'il est interdit aux femmes de porter des vêtements d'hommes, de se couper les cheveux courts ou de porter des armes (K 254).

Dans le droit succesoral, une femme ne pouvait pas hériter autant que ses frères. Et dans certaines régions, si elle avait des frères, elle n’héritait de rien. Toutefois, si le mari décédait sans héritier mâle ou si le fils mourrait du vivant de la mère, celle-ci entrait en possession de tous les biens (voir §Les libertés).

Il lui était interdit de participer à la plupart des activités politiques ou gouvernementales. Elle ne pouvait donc pas être goði (chef), ni juge, et ne pouvait pas introduire une cause devant le Þing à moins qu’un homme n’entreprenne les poursuites en son nom.

Les mariages étaient arrangés par le père ou d’autres membres masculins de la famille (bien que le consentement de la future épouse était souvent recherché), car les mariages représentaient, avant toute considération sentimentale, des alliances familiales et claniques. Il semble que les veuves profitaient d’une plus grande liberté de choix que les femmes non mariées. Par exemple, dans la saga d’Eirik le Rouge, la veuve Gudrid devait obtenir la permission de son beau-père, Eirik le Rouge, pour épouser Thorfinn Karlsefni (dans la saga des Groenlandais, elle devait obtenir cette permission de Leif).

 

Les libertés

Trois figues en or, symbole de richesse et de statut chez les femmes vikings.Une femme pouvait demander le divorce, mais pour des raisons spécifiques. Et plus remarquable encore est le fait que dans le cas d’un divorce, une femme reprenait la dot, appelée heiman fylgia, qu’elle avait apportée au moment du mariage et qui constituait la plupart du temps la seule richesse qu'elle pouvait prétendre hériter de sa famille.

Les lois protégeaient tout particulièrement les femmes contre l'attention non désirée d'un homme envers elles mais aussi contre la violence conjugale. A ce sujet, le Gulaþing de Norvège prévoyait même des dispositions spéciales selon que les violences avaient eu lieu ou non en public, et selon leur degré de gravité. Aussi, la violence conjugale est la raison la plus couramment invoquée pour un divorce dans les sagas. De temps en temps, une femme estimait que le divorce n'était pas une vengeance suffisante contre l'insulte d'une claque: Hallgerd dans la saga de Njal fut ainsi impliquée dans la mort de ses deux maris qui ont fait l'erreur fatale de la gifler.

C'était un grave déshonneur pour un homme de blesser une femme, même accidentellement comme dans l'attaque d'un foyer.

N.B: La seule exception concerne les femmes capturées au cours des raids vikings comme butin, pour être vendues comme esclaves. Si le viol des femmes semble une des violences courantes exercées dans le cadre d'une bataille ou d'un raid, il apparaît d'après les chroniques de l'époque telles que "Les Annales de Saint-Bertin", que les Vikings étaient moins enclins à cette pratique que d'autres envahisseurs. D'ailleurs, le viol est pratiquement inexistant dans les récits des sagas. 

Seule une femme non mariée et sans fils, d'après les lois islandaises et norvégiennes, pouvait hériter de la charge de chef de famille ou clan, en général au décès de son père ou d'un frère uniquement. Elle portait alors le titre de Baugrygr ou Ringkvinna. Il lui incombait alors l'ensemble des tâches et des droits associés à la position de son défunt parent, comme celui de réclamer et obtenir des dédommagements lorsqu'un membre de la famille était assassiné, et ce jusqu'à ce qu'elle se marie et que cela soit transféré à son époux. Ces dispositions furent maintenues même lors de la christianisation et semblent avoir existé jusqu'à la fin du XIIIème siècle au delà duquel plus aucune mention du terme ne peut être trouvée dans les textes de loi.

 

Les femmes et la religion

Les majestueux enterrements païens de femmes, bien que plus nombreux chez les hommes, démontrent qu’il y avait au moins certaines femmes qui exerçaient une grande influence, notamment en matière de croyances et pratiques religieuses.

Les femmes étaient hautement considérées dans les affaires religieuses. Dans la société scandinave, la völva, tout autant prêtresse que prophétesse, était généralement une femme âgée ayant rompu avec les attaches familiales, qui errait à travers le pays. On faisait appel à ses services dans les situations graves, à l'instar de la femme qui, avec l’aide de Gudrid, dirige les rituels païens pour mettre fin à la famine, dans la saga d’Eirik le Rouge. Son autorité était absolue et elle était largement rémunérée pour ses services.

 

Les völvur

Selon la mythologie et les récits historiques, les völvur étaient censées posséder des pouvoirs tels qu’Odin lui-même, le père des dieux, faisait appel à leurs services pour connaître l’avenir des dieux : c’est notamment ce que rapporte la Völuspá, dont le titre lui-même se traduit par "chant de la prophétesse". Parmi les plus célèbres völvas de la littérature scandinave, il y a lieu de citer la Heidi de la Völuspá et la sorcière Gróa du lai de Svipdag (Svipdagsmál).

Les völur entre autres disciplines chamaniques traditionnelles, pratiquaient :

  • Le galdr, soit la divination.
  • Le spá, soit la prophétie, pratiquée par la spákona ( spámaðr pour les hommes).
  • Le seiðr (littéralement  "bouillonnement, effervescence") soit l'enchantement, pratiqué par la seiðkona. Bien qu'il y ait eu aussi des hommes, les seiðmaðr, le seiðr exigeait tout particulièrement l'ergi (la féminité) car selon Snorri Sturluson, dans la Saga des Ynglingar, sa pratique rend faible et vulnérable, donc peu viril.

 

Homme en chemise bleue allongé sur un bateau en bois, article viking.Le seiðr se caractérisait par une transe et visait à percer les desseins des nornes (déesses du destin) afin de connaître le destin (vyrð en vieux norrois), ou à changer le chamane en animal. L'attribut de la seiðkona, une quenouille appelée seiðstafr ("bâton de seydr", soit une baguette magique), est l'un des attributs de la déesse Freyja. Freyja est celle qui aurait enseigné le seiðr aux ases - bien que seul Odin en serait devenu maître.

L'archéologie a mis au jour une quarantaine de sépultures de femmes au Danemark (Fyrkat), en Norvège (Oseberg, Flöksand) et en Suède (Birka), contenant des quenouilles sans pour autant pouvoir certifier qu'il s'agit là toutes de völvur.

La disparition des völvur est liée à la christianisation.

 

 

Les femmes et la christianisation

Lorsque le christianisme est arrivé en Scandinavie, là encore, il semble que les femmes aient été plus réceptives que les hommes. Ce n’est pas une coïncidence si, au Groenland, la première église fut bâtie par Thjodhild, épouse d’Eirik le Rouge et mère de Leif et de Thorsten. 

La christianisation a donné aux femmes de nouveaux rôles, qui sont reflétés par les pierres runiques de cette période. Sur la pierre de Dynna en Norvège, Gunnvor commémore sa fille Astrid avec des images de la Nativité, tandis que la pierre de Stäket en Suède commémore Ingirun, qui est allée en pèlerinage à Jérusalem.

 

Les femmes et la colonisation

Selon Judith Jesch, docteur et directrice des Études vikings à l'Université de Nottinghamles femmes ne pouvaient pas être à proprement parler des Vikings. Mais elles ont joué un rôle fondamental dans la colonisation des terres explorées par les Vikings.

Le mot en vieux norrois vikingar est exclusivement appliqué aux hommes, pour désigner ceux qui ont navigué à partir de la Scandinavie et se sont engagés dans les activités de raids et de commerce en Grande-Bretagne, en Europe et à l'Est, ou d'exploration en Atlantique Nord (Iles Féroe, Islande, Groenland). Mais des Vikings sont restés dans ces régions et ont établi des colonies scandinaves.

Les femmes ont vraissemblablement joué un rôle dans ce processus d'implantation d'après Judith Jesch. Dans des régions avec une population indigène établie, les colons vikings ont pu épouser des femmes locales, alors que quelques vikings itinérants ont probablement pris des compagnes en route, mais il y a des preuves archéologiques que des femmes scandinaves ont atteint la plupart des parties du monde viking, de la Russie à l'Est, jusqu'à Terre-Neuve à l'Ouest, comme le prouve la découverte d'une fusaïole de l'époque à l'Anse aux Meadows (Terre-Neuve).

 

L'Islande

L'Islande était inhabitée et une population permanente ne pouvait seulement être établie que dans le cas où les femmes faisaient aussi ce voyage-là.

Une recherche, publiée le 8 décembre 2014 dans la revue Philosophical Transactions of the Royal Society B, a étudié le matériel génétique extrait de 45 spécimens exploitables d'ossements anciens exhumés dans le centre et le nord de la Norvège et datés entre l'an 793 et l'an 1066. La comparaison de cet ADN mitochondrial, qui renseigne directement sur la généalogie maternelle, à celui des habitants de l'Islande médiévale ainsi qu'à celui des populations actuelles d'Europe, a révélé que les femmes vikings ont joué un rôle central dans l'expansion et l'établissement en Atlantique Nord. 

Selon Erika Hagelberg, du département de Biosciences d'Oslo, la preuve est faite que "les femmes Nordiques ont participé au processus de colonisation. Un nombre significatif d'entre elles a été impliqué dans la colonisation des petites îles." Et Jan Bill, professeur d'archéologie spécialiste de l'Âge Viking et conservateur au Musée d'Oslo, qui a également participé à ce travail, va même plus loin: "On sait qu'ils transportaient du bétail, donc pourquoi ne pas emmener les enfants avec eux aussi? Je pense que nous avons affaire à des groupes familiaux, pas seulement des femmes et des hommes adultes." La colonisation viking aurait donc été une véritable entreprise familiale.

 

L'Irlande, l'Angleterre et l'Ecosse

Tandis que les Îles du Nord sont complètement scandinaves par la langue et la culture, les régions colonisées par les Vikings à l'intérieur et autour de la mer d'Irlande avaient une population plus diversifiée.

Sur l'île de Man, les archéologues ont découvert la tombe d'une riche femme, connue sous le nom de "Dame païenne de Peel", dont les effets personnels, parmi lesquels un collier de 52 perles, étaient presque tous entièrement d'origine scandinave. L'île de Man comprend également une trentaine de pierres runiques mêlant croix celtiques, ornements de style scandinave telles que des illustrations de scènes mythologiques et des inscriptions composées de runes et de vieux norrois. Bien que les noms de personnes (à la fois nordiques et celtiques) et la grammaire confuse de la langue suggèrent une communauté très métissée, au moins un quart de ces monuments commémorent des femmes, la plupart en tant qu'épouse. Une pierre située à Kirk Michael semble dédiée à la mémoire d'une mère adoptive avec l'inscription: "il est meilleur de quitter un bon fils adoptif qu'un mauvais fils."

Pendentif en or avec deux têtes et un cœur illustrant les rôles sociétaux des femmes vikings.En Ecosse, des tombes païennes fournissent des preuves archéologiques abondantes concernant la première colonie scandinave en Ecosse et la présence de femmes colons. Et dans l'archipel des Orcades, deux tombes livrent le portrait de deux femmes très différentes : la mère de jumeaux nouveau-nés, jeune, riche et vaillante à Westness, et une femme âgée de statut élevé, enterrée à Scar, dans un bateau, avec un homme plus jeune et un enfant.

En angleterre, la chronique anglo-saxone témoigne qu'une armée viking opérant dans les années 892-895, était accompagnée par des femmes et des enfants devant être mis en lieu sûr pendant que les guerriers combattaient. Par ailleurs, des découvertes archéologiques récentes d'un grand nombre de bijoux de femme de style nordique, en particulier dans le Lincolnshire, ont permis de démontrer la présence de femmes scandinaves au Xème siècle.

Il y eut un nouvel afflux significatif de Scandinaves en Angleterre pendant le règne de Knut, au XIème siècle. Ces nouveaux immigrants d'une classe sociale plus élevée ont laissé leurs marques à Londres et dans le sud, des secteurs non précédemment soumis à l'implantation scandinave. La pierre runique de St Paul, à Londres, avec son inscription parcellaire indiquant uniquement le nom de ses commanditaires, Ginna (une femme) et T-ki (un homme), révèle l'affiliation culturelle de deux Scandinaves au coeur du royaume anglais.

 

Les femmes et la guerre

L'indépendance et relative liberté des femmes à l'Âge Viking, comme l'autorité et les responsabilités qu'il leur incombait d'exercer pendant les longues périodes d'absence des hommes partis en expédition, leur imposaient logiquement d'être en capacité à minima de se défendre, à défaut de se battre. Pour autant, le débat fait rage dès lors que l'on évoque l'existence de femmes guerrières.

 

Les skjaldmös et les valkyries

Peinture représentant un homme à cheval armé d’une épée, illustrant les contrastes de la société viking et les rôles des femmes.La skjaldmö qui désigne en vieux norrois, une jeune femme guerrière armée d'un bouclier dans la mythologie nordique, a fondé le mythe de la valkyrie. 

Dans la mythologie, les valkyries, revêtues d’une armure, volaient au-dessus des champs de bataille, dirigeaient les combats, distribuaient la mort parmi les guerriers et emmenaient l’âme des héros à la Valhöll, le grand palais d’Odin, afin qu'ils deviennent des Einherjar. Cependant, une idée fausse répandue au sujet des valkyries est qu'elles auraient été des femmes guerrières. Ceci n’est pas fondé car il n’existe pas un seul récit d'une valkyrie en train de combattre et seulement rarement en train de porter une arme.

Les skjaldmös sont les véritables guerrières dans les sources écrites, telles que Hervor (saga de Hervor et du roi Heidrekr), Brynhild (saga de Bósi et Herraud), Thornbjörg (Hrólfs saga Gautrekssonar) ou Veborg dans la Geste des Danois. Selon Saxo Grammaticus, 300 skjaldmös combattirent aux côtés des Danois à la Bataille de Brávellir, en 750. Il mentionne également Lagertha qui combattit aux côtés de Ragnar Lodbrok et l'aida à gagner la bataille en conduisant personnellement une attaque astucieuse sur le flanc des ennemis.

Cependant, là encore, les femmes guerrières de l'Âge viking sont surtout un mythe engendré par des auteurs comme Saxo Grammaticus qui, en tant que prêtre chrétien, était consterné par la liberté relative et le pouvoir social  des femmes de vikings dans la vie courante, de sorte qu’il écrivit de nombreuses histoires de femmes guerrières qui reposaient beaucoup plus sur les références dans son éducation classique aux légendes grecques des amazones qu'aux moeurs des Vikings. Le but de Saxo était de présenter une femme guerrière, puis de créer un héros viril qui la battrait rien qu’avec son aura de virilité et sa beauté.

 

Des sépultures de combattantes

Squelette d’une ancienne femme présenté dans un article sur la société viking et le rôle historique des femmes.C'est donc tout naturellement vers l'Archéologie que se tournent tous les espoirs de faire la lumière sur l'emblématique mais insaisissable guerrière viking.

La sépulture Bj 581 à Birka en Suède, datant du milieu du Xème siècle, a fait l'objet d'une nouvelle étude en 2017. Des analyses ostéologiques et génétiques ont révélé que cette sépulture d'un présumé guerrier, comprenant une épée, des flèches, une hache, un couteau de combat, une lance, deux boucliers et deux chevaux, était en réalité celle d'une femme. La présence d'un ensemble complet de pièces de jeu avec leur plateau, symbole de tactique et d'analyse stratégique, tend à prouver que cette guerrière a pu occuper de hautes fonctions sur le champ de bataille. Par ailleurs, les analyses d'isotopes confirment un style de vie itinérant, cohérent avec la société martiale qui a dominé l'Europe du VIIIème au Xème siècle.

Un grand nombre - environ une trentaine- de sépultures de femmes comprenant des armes et autres attributs guerriers ont été découvertes en Scandinavie et dans la plupart des lieux où les Vikings se sont implantés. Lorsque le mobilier funéraire est uniquement composé d'éléments martiaux, très peu de squelettes - pour des raisons apparentes de coût - ont fait l'objet d'une analyse génétique, les archéologues accordant d'emblée ces tombes à celle de guerriers.

Hormis la tombe de Birka donc, à l'heure actuelle, seules deux combattants de l'Âge Viking exhumés au début des années 1900 en Norvège se sont révélés, à la suite des tests effectués, être en définitive des femmes.

Trois tombes attestées n'établissent certes pas une généralité quant au rôle que les femmes ont pu jouer dans le domaine des activités martiales. Mais étonnament, ce type de révélation vaut en générale aux archéologues une levée de boucliers, accusés systématiquement d'alimenter de la sorte une incarnation fantasmagorique de la valkyrie. 

Femme viking féroce aux longs cheveux blonds et au visage ensanglanté, symbolisant l’esprit guerrier.En Novembre 2019, pour un documentaire de National Geographic, des scientifiques ont recréé le visage d'une femme de l'Âge Viking dont la sépulture, découverte à Solør, en Norvège contenait une impressionnante collection d'armes, des flèches, une épée, une lance et une hache. Son crâne, qui reposait sur un bouclier dans la tombe, a été retrouvé avec une entaille assez grave pour avoir endommagé l'os et la blessure correspond vraissemblablement à celle d'une épée. Les chercheurs ignorent si la blessure fut la cause de sa mort, car l'examen scientifique a révélé des signes de guérison. Néanmoins, l'image de la reconstruction faciale bouscule les idées reçues et cette blessure de combat pourrait fournir la première réelle preuve de l'existence de guerrières vikings.

Des femmes influentes

Quelques femmes ont laissé leur marque par leur statut exceptionnel ou leur réussite.

En 834, deux femmes, une d'environ 50 ans, et une plus âgée, entre 70 et 80 ans, ont été inhumées dans une des sépultures les plus riches de l'Âge Viking, le bateau-tombe d'Oseberg, en Norvège, avec un grand nombre d'objets funéraires richement décorés. S'agissait-il d'une commerçante ayant fait fortune, d'une femme responsable religieux ou politique, d'une reine et de sa suivante?

Plus tard dans ce même siècle,  Auður djúpúðga Ketilsdóttir (Aude la Très-Sage) vécut une véritable odyssée viking. Fille d'un chef norvégien dans les Hébrides, elle épousa un viking basé à Dublin et, quand son mari et son fils sont morts, elle prit en charge la fortune familiale, affrétant un bateau pour l'emmener avec ses petites-filles dans les Orcades, aux Iles Féroe et en Islande. C'est en Islande qu'elle s'installa, distribuant la terre à ses suivants. Elle est connue comme l'une des quatre colons les plus importants et comme la première chrétienne notable.

Peinture d’une femme viking allongée sur un lit.Au Xème siècle, Freydís Eiríksdóttir, fut "l'enfant terrible" d'Erik le Rouge et la sœur de Leif Eriksson. Membre de l'expédition conduite par Thorfinn Karlsefni au Vinland, face aux amérindiens, elle déchira son vêtement, mettant à nu sa poitrine qu'elle frappe avec son épée tout en hurlant. Les natifs effrayés par cette vision d'une guerrière enceinte de huit mois, aux seins nus, poussant un cri de guerre, s'enfuirent aussitôt ce qui mit fin à la bataille. Elle ordonna des massacres lors d'autres expéditions qui la firent condamnée à l'exil par son frère Leif. Néanmoins, elle s'est illustrée en tant qu'exploratrice du Vinland et combattante sans peur.

Au XIème siècle, la reine Emma est l'une des dernières grandes figures féminines avant la fin l'Âge Viking. Son père était le duc Richard de Normandie, descendant du fondateur viking Rollon, tandis que l'on dit que sa mère était danoise. Emma a été mariée à deux rois d'Angleterre, l'anglais Æthelred et le danois Knut le Grand et fut la mère de deux autres. Avec Knut, elle fut une grande protectrice de l'Église et après sa mort, elle commanda le panégyrique Emmae, une apologie en latin des rois danois en Angleterre au XIème siècle, assurée ainsi que son portrait était inclus dans le manuscrit.