Sleipnir, le cheval du dieu Odin (Óđinn)
Les rôles de Sleipnir
Sleipnir est tout d'abord une créature chamanique qui permet à l'Ase suprême de voyager entre les différents mondes.
C'est aussi un cheval psychopompe qui emmène les guerriers morts au combat jusqu'à la Valhöll. En sa compagnie, Óđinn franchit Bifröst, le pont arc-en-ciel qui relie Ásgarđr et Miđgarđr et dont la garde est confiée au dieu Heimdallr, lui qui entend l'herbe pousser et chaque feuille tomber, qui voit jusqu'aux confins du monde et n'a nul besoin de sommeil. Ils chevauchent jusqu'aux champs de bataille des hommes et Sleipnir escorte les guerriers valeureux, morts au combat, - les Einherjars- jusqu'à la prestigieuse halle de son maître, la Vallhöll. Là, les Walkyries, les filles d'Óđinn, les accueillent et leur offrent l'hydromel de la chèvre Heiđrún qui, perchée sur le toit du palais, broute les pousses tendres du frêne Yggdrasil.
Cette fonction psychopompe se retrouve dans les coutumes funéraires aristocratiques païennes où un ou plusieurs chevaux sont inhumés ou incinérés à proximité du mort.
Sleipnir est également fortement lié à l'arbre du monde Yggdrasill, support des neuf mondes de la cosmogonie viking, et il se confond avec lui. Comme l'arbre, Sleipnir peut voyager et relier les mondes entre eux. Chaque jour, Óđinn le chevauche afin de se rendre au conseil des dieux qui se déroule au pied du frêne Yggdrasil, près de la source d'Urđr. Lorsqu'Óđinn se pend neuf jours et neuf nuits à l'arbre, afin de connaître le secret des runes, Sleipnir est d'abord attaché au frêne.
Lorsque survient le solstice d'hiver, Sleipnir mène la chasse sauvage du dieu à travers le ciel et les bois, galopant devant les Walkyries et les Einherjars. Au jour du crépuscule des Dieux, en ce jour funeste du Ragnarök, Sleipnir mène au combat son maître Óđinn coiffé d'un casque d'or.
Sleipnir est fils de Loki et, dans l'ensemble de ses enfants « monstrueux », il est le seul que les dieux gardent auprès d'eux. Les trois autres enfants, engendrés avec la géante Angrbođa du Jötunheimr, le loup Fenrir, le serpent de Miđgarđr et Hel, la déesse de la mort, sont jugés dangereux. Óđinn les éloigne. Le serpent est jeté dans la mer ; le loup est enchaîné ; Hel est reléguée au royaume des morts dont elle devient la gardienne.
L'Edda, recueil de mythologie nordique
L'Edda constitue un recueil de mythologie nordique très complet. C'est l'une des principales sources qui mentionne les mythes relatifs à Sleipnir. Cette œuvre a été écrite par l'Islandais Snorri Sturlusson au XIIIè siècle. Snorri est né en 1179 à Hvamm, dans la région de Dalir, à l'ouest de l'Islande. Il appartient à une famille très ancienne et très influente. Très jeune, il quitte sa famille et va habiter chez Jon Loftsson, l'un des chefs les plus puissants de l'île, dans le domaine d'Oddi, l'un des principaux centres intellectuels d'Islande.
Il y apprend certainement le latin et acquiert surtout une profonde connaissance de la tradition littéraire noroise.
Edda
Adulte, il épouse Herdis, la fille de Bersi, riche propriétaire terrien. Snorri voit sa fortune croître rapidement et il devient un personnage politique de premier ordre. Dans ce contexte, en 1218, il répond à l'invitation du roi de Norvège Hakon1 qui règne sous la protection du jarl Skuli2, son beau-père, et il se rend auprès de lui. Il demeure à la cour du roi deux années, mais à son retour en Islande, il est entraîné dans les querelles entre clans de l'île, lesquels s'affrontent au sujet de la volonté de la Norvège d'étendre sa souveraineté sur l'Islande. Sa situation dans l'île devient périlleuse ; il retourne en Norvège et y demeure encore deux années dans un contexte difficile, car le roi Hakon, devenu majeur, affronte son beau-père pour prendre le pouvoir. Finalement, il repart en Islande, bravant l'interdiction du roi Hakon. Considéré comme un traître, il meurt assassiné sur ordre du roi de Norvège, le 23 septembre 1241.
Homme politique, grand aristocrate, Snorri est aussi un remarquable poète qui maîtrise tout l'art de la poésie scaldique. Il rédige l'Edda sans doute lors de son premier séjour en Norvège.
L'edda comporte quatre parties : le Prologue, la Gylfaginning (« Mystification de Gylfi »), le Skáldskaparmál (« Dits sur la poésie ») et le Háttatal (« Dénombrement des mètres »).
La première partie de l'ouvrage, la Gylfaginning, relate la visite du roi Gylfi aux dieux dans leur domaine d'Ásgarđr.
Un jour, le roi Gylfi offre à une vagabonde qui l'a diverti un royaume aussi grand que ce que pourraient labourer quatre bœufs en un jour et une nuit. Mais, la vagabonde est en fait une déesse Ase, ses bœufs les enfants qu'elle a eus d'un géant. Le territoire labouré dans le temps imparti est immense. Surpris, le roi Gylfi décide de connaître l'origine de ce pouvoir et, prenant la forme d'un vieillard, il se rend à Ásgarđr pour interroger les dieux eux-mêmes. Lorsqu'il parvient dans le palais des Ases, il prétend être un voyageur égaré nommé Gangleri et sollicite le gîte pour la nuit. Il est accueilli, pénètre dans la halle où une multitude d'hommes boivent, jouent et se battent. Puis, il est conduit devant trois hôtes, le Très-Haut, l'Egal du Très-Haut et le Tiers, qui siègent dans des trônes disposés l'un au-dessus de l'autre.
« Tiens-toi debout, là, devant nousPendant que tu questionnes !C'est à celui qui raconte qu'il revient d'être assis. » dit le Très-Haut.(Gylfaginning, chapitre 2)
Manuscript Gylfi
Gylfi questionne ; le Très-Haut, l'Egal du Très-Haut et le Tiers répondent. Toute l'histoire du monde depuis ses origines jusqu'à sa destruction finale est évoquée. L'origine du temps, la création de l'Univers, l'apparition des races, l'organisation des neuf mondes autour du frêne Yggdrasill sont décrites. Puis, dieux et déesses sont présentés et, pour chacun d'eux, vient le récit d'histoires marquantes pour les dieux : l'enchaînement du loup Fenrir, la conquête de la géante Gerd par Skirir pour son maître Freyr, le rôle de la Valhöll et des Einherjar qui la peuplent, l'origine du coursier d'Óđinn...
Gylfi demanda alors : Qui possède le cheval Sleipnir ? Et qu'y-a-t-il à dire à son sujet ? »
Le Très-Haut répondit : « Tu ne sais donc rien de Sleipnir ; et tu ignores les circonstances de son origine ! Cela va te paraître digne d'être conté. » (Gylfaginning, chapitre 42)
Quelques mythes autour de Sleipnir
La naissance de Sleipnir
Le mythe principal qui nous est parvenu et qui est retracé dans la Gylfaginning, la première partie de l'Edda, concerne la naissance de Sleipnir.
Alors que les dieux se sont établis dans leur royaume d'Ásgarđr et qu'ils y ont bâti douze somptueux palais aux toits d'or et d'argent, un bâtisseur, accompagné de son seul cheval, vient à eux. Il propose alors de construire une enceinte forte et imprenable afin de protéger les palais en trois misseri (saison viking longue de six mois). En échange, pour salaire, il réclame la lune Máni et sa sœur Sol, le soleil, ainsi que la déesse Freyja.
Conseillé par Loki, Óđinn accepte la proposition en réduisant le délai à un seul misseri. De plus, le bâtisseur ne peut utiliser pour l'aider que le cheval qui l'accompagne et qui se nomme Svađilfæri.
Alors, le bâtisseur se met au travail. Les jours passent. L'ouvrage avance vite et bien, car le cheval Svađilfæri possède une force prodigieuse qui lui permet de charrier une quantité énorme de roches. Aussi, lorsque l'été approche et que le délai imparti touche à sa fin, la forteresse est presque achevée.
Trois nuits avant l'expiration du délai, l'Ase suprême convoque tous les dieux. Ceux-ci se souviennent que c'est Loki qui les a conseillés et pressés d'accepter. Les Dieux se saisissent de celui-ci et ils le somment de trouver une solution. Óđinn est le plus virulent et il promet à Loki les pires tourments s'il ne les sort pas du mauvais pas où ses conseils les ont menés. Loki prend peur, il cède et promet de faire en sorte que le bâtisseur ne remplisse pas son contrat.
Loki and Svadilfari by Hardy
La nuit suivante, Loki utilise son don de métamorphose et il prend l'apparence d'une fringante jument en rut. Puis, il se place sur le passage de Svađilfæri. En vain, le bâtisseur tente de retenir son cheval. Celui-ci arrache harnais et liens, puis il s'élance vers la jument. Ils partent au galop dans la forêt et y demeurent toute la nuit.
Le bâtisseur a perdu. Il ne peut achever la fortification dans le temps imposé. Devant cet échec, sa fureur devient telle qu'il ne peut plus longtemps dissimuler sa vraie nature. D'homme, il se transforme en un impressionnant géant des glaces. Les dieux, saisis, reculent. Óđinn lève sa lance haut dans le ciel et appelle Þórr. Le dieu, parti combattre trolls et autres créatures, surgit et, d'un coup de son marteau Mjöllnir, il fracasse sans pitié le crâne du géant belliqueux.
Quelque temps plus tard, Loki, le géant hermaphrodite aux mille apparences, met bas un splendide poulain :, Sleipnir.
Autres mythes
Sleipnir apparaît dans d'autres mythes.
Dans celui qui relate la mort de Baldr, Hermóđr, un autre fils d'Óđinn, chevauche Sleipnir pour gagner le royaume de Hel. Hermóðr chevauche neuf nuits durant et il traverse des mondes de plus en plus sombres et de plus en plus froids jusqu'à parvenir au bord de la rivière Gjöll dont l'eau est si glacée qu'elle semble charrier des couteaux. Hermóðr traverse alors Gjallarbrú, le pont couvert d'or qui enjambe la rivière puis il galope jusqu'à parvenir aux portes du royaume de Hel. Ce sont des grilles immenses, couvertes d'or. Hermóðr resserre les sangles de Sleipnir et éperonne sa monture. Sleipnir s'élance et bondit au-dessus des grilles, sans même les frôler.
Statue Sleipnir
Dans un mythe rapporté dans le Skáldskaparmál, la deuxième partie de l'Edda de Snorri Sturluson, Óđinn, coiffé de son casque d'or, chevauche Sleipnir et parvient à la demeure du géant Hrungnir. Celui-ci demande qui est cet homme et quel est ce cheval merveilleux. Óđinn parie alors sa tête qu'aucun cheval aussi bon que le sien ne peut être trouvé dans tout Jötunheimr. Le géant rétorque que son cheval, Gullfaxi, est beaucoup plus rapide. Ulcéré par l'arrogance d'Óđinn, il enfourche sa monture et se mesure à la course avec Sleipnir ; il est si préoccupé par son désir de vaincre qu'il ne s'aperçoit pas qu'il franchit les portes d'Ásgarđr. Óđinn invite alors son concurrent à boire ; le géant s'enivre et commence à insulter, puis menacer les dieux. Les Ases appellent alors Þórr à la rescousse. Celui-ci tue le géant et confie son cheval Gulfaxi à son fils Magni.
Bibliographie
- Régis Boyer, L'Edda Poétique, Fayard, 1992.
- L'Edda, récits de mythologie nordique, par Snorri Sturluson, l'aube des peuples, Gallimard, 1991.
- Régis Boyer, Yggdrasill : La religion des anciens Scandinaves, Paris, Payot, 1992.
- Jean Renaud, Les dieux des Vikings, Editions Larousse, 2008..
- Georges Dumézil, Loki, Flammarion, 1986.
- Régis Boyer, La saga de Hervor et du roi Heidrekr, Berg International, Paris 1988